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Cotisations sans retour : le fossé social oublié

Une part croissante des cotisations sociales versées par les salariés ne donne droit à aucune prestation en retour. Cette dissymétrie, longtemps ignorée, met en péril le consentement au système, selon l’Institut de la Protection Sociale (IPS).
 

Quand la cotisation devient taxe
Le principe fondateur de la Sécurité sociale repose sur une équation simple : cotiser donne droit à une protection – en santé, en retraite, en cas d’invalidité ou de chômage. Mais selon une étude inédite de l’IPS, cette promesse est de moins en moins tenue : près d’un tiers des cotisations salariales ne génèrent aujourd’hui aucun droit individuel.
 

Pour les hauts revenus, la situation est encore plus flagrante : au-delà de 47 100 € de salaire brut annuel, cette proportion grimpe à 53 %, voire 100 % pour les tranches supérieures. En clair, une partie importante des cotisations devient une taxe sociale implicite, sans contrepartie assurantielle.
 

Bruno Chrétien, président de l’IPS, alerte : « Cette évolution n’a jamais été assumée politiquement. Elle brouille la frontière entre assurance sociale et fiscalité, au risque de saper le consentement à l’effort contributif. »
La perte de lisibilité s’accompagne d’un sentiment d’injustice : les salariés du privé, surtout les cadres et dirigeants, apparaissent comme les financeurs majeurs d’un système dont ils ne retirent plus qu’une partie des bénéfices. Ce déséquilibre nourrit à la fois l’exaspération… et le contournement.
 

Une réforme systémique s’impose
Face à ce diagnostic, l’IPS appelle à une refonte du financement de la protection sociale, sur plusieurs axes :
• Clarifier la finalité des cotisations : distinguer les droits individualisables (retraite, prévoyance, arrêt de travail) des droits universels (famille, santé), qui devraient être financés via des prélèvements fiscaux explicites.
• Alléger le poids sur les salaires : pour réconcilier travail et compétitivité, il faut réduire la pression des charges sociales sur les employeurs et les actifs.
• Explorer de nouvelles assiettes de financement : parmi les pistes avancées, l’IPS évoque une TVA sociale étendue, une utilisation partielle des cotisations chômage (Unédic), ou encore une taxation des flux économiques (paiements, transactions, etc.).
La complexité actuelle – jusqu’à 14 leviers différents sur une fiche de paie, selon le type d’entreprise, le régime, les plafonds ou les seuils – est également dénoncée comme source de décrochage psychologique.
Selon l’IPS, deux risques menacent désormais :
• Une révolte fiscale larvée, où les travailleurs les plus exposés contestent la légitimité du système ;
• Un contournement progressif, avec le développement du travail non déclaré, des statuts hybrides ou de l’expatriation fiscale.
« Il ne s’agit pas de détruire la solidarité, mais de restaurer la confiance en redonnant du sens et de la lisibilité aux prélèvements sociaux », conclut Bruno Chrétien.
 

Le système de protection sociale français s’épuise à force de complexité, de flou et d’asymétrie. Pour le réformer durablement, il faudra nommer les choses, aligner les droits sur les efforts, et sortir d’une fiscalité déguisée qui menace la cohésion sociale.
 


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